Chapitre 6
Trois jours après la réunion organisée par la reine, tous les habitants étaient en sécurité entre les murs de la capitale. Plus aucun village n'était habité, mais les Bulbins en avaient profité pour rapprocher leur repère de la capitale et s'installer dans l'un des villages du royaume. L'information avait été transmise par des éclaireurs Tzeks qui observaient de loin l'activité de l'envahisseur sur leurs terres. Les murs de la capitale étaient fermés, et personne ne pouvait y entrer ou en sortir sans passer par une vérification très spécifique.
Nous avions convenu d'une solution. Nous allions finalement devoir rendre le prince afin de pouvoir nous approcher du repère. Selon les informateurs, le roi Bulbin serait venu en personne, avide d'une future victoire sur cette malédiction qui prévoyait sa mort. Cette avidité serait notre plus grand avantage dans nos futures actions et nous étions fin prêts. Ou du moins, à quelque chose prêt. Le manque de Dylan se faisait ressentir dans nos rangs; depuis qu'il était enfermé, un vide était présent en moi constamment, comme s'il me manquait quelque chose d'absolument vital. Seulement, il nous était impossible de le sortir du cachot, surtout après sa tentative de meurtre. Si cette envie le reprenait, il pourrait simplement mettre fin à l'avenir de deux peuples entiers, sur un coup de folie.
« Lox ! S'exclama Mytha en attrapant ses deux dagues favorites dans les étagères d'armurerie; Tu es prêt ? On va devoir y aller dans quelques minutes.
— Oui, ne t'en fais pas.» Acquiesçai-je.
Nous savions que notre plan était risqué, mais cela permettrait au prince de ne pas être seul au repère des Bulbins. J'hésitai quelques secondes à passer par les cachots avant de partir et me résolut à y passer en revenant; si un jour je revenais de cette mission suicide. Ce plan de dernière minute était tout ce qu'on avait, et tout tenait sur ces deux jours de préparation. Rien était sûr, et j'avais la sensation de me lancer dans une véritable mission suicide.
Je marchais sur ce chemin de terre. Ce chemin de terre qui nous conduirait tout droit au repère des ennemis. Les Bulbins avaient été informés de notre venue, que nous avions fait passer comme un abandon, une reddition. Mais ce qu'ils ne savaient pas, c'était que ce n'était pas le prince qui marchait sur ce chemin de terre comme ils le voyaient, mais moi, Lox. Avant de nous rendre ici, j'ai appris en ces deux jours le sortilège qui nous offrira une seule petite chance de victoire : l'illusion. Pour tous les Bulbins dans ce village, j'avais l'apparence du prince, et Mytha avait la mienne. J'avançai donc la tête baissée, jouant mon rôle de prince lâche à la perfection, traînant les pieds. Mytha marchait derrière moi, et me forçait à avancer, afin de rendre l'illusion encore plus parfaite.
Nous rentrâmes alors tous les deux dans la maison au cœur du repère, où les Bulbins nous emmenaient avec fierté à leur roi. Ils nous firent nous agenouiller au sol, et attendant la venue du roi ennemi, je me concentrai sur les conversations des soldats qui grouillaient dans la pièce. L'une d'elle attira mon attention quand j'entendis le nom du sorcier. "Lorsque la victoire sera sonnée, il ouvrira", "enfin nous contrôlerons les trois royaumes", "j'ai entendu dire qu'il s'est fait passer pour un ami des Tzeks". Il ne me fallut que quelques secondes pour interpréter leurs paroles. Le sorcier était un traître. Et lorsque le prince sera proclamé mort, il devrait ouvrir les portes de la capitale de l'intérieur.
Je fermai les yeux et Mytha me regarda sans comprendre. Je secouai ma tête en lui faisant signe de ne pas s'inquiéter et de s'en tenir au plan. Du bout des doigts, je rédigeai un message magique et l'envoyai à la reine Jyenn, afin qu'elle fasse quelque chose à propos du sorcier. A peine mon message envoyé furtivement, un tonnerre d'applaudissements me fit revenir à la réalité et je compris que le roi entrait dans la pièce. Surnommé "le Sanglant". Il me fixait avec ses yeux avides de mort et de sang, le sang du prince, qu'il pensait regarder en ce moment. Il me fit signe de l'approcher et je me levai en le fixant royalement. Un rictus écarta ses lèvres et il caressa ma joue en me disant :
« Eh bien mon petit... Tu as finalement compris que ça ne servait à rien de te battre. Tes parents ont bien compris lorsqu'ils ont renoncé à la vie ! »
Je senti mon sang chauffer dans mes veines à ces paroles et je priait pour que Mytha ne perde pas son sang froid et ne brise pas sa couverture. La rage que le roi pouvait voir dans mes yeux était pure. Je tenais comme à des parents, à mes souverains. Comment osait-il se vanter de leur mort ? Quel monstre.
« J'imagine que ça n'a plus d'importance de toute manière... Tu vas mourir également, tout comme ton protecteur derrière toi. »
Je refusai de parler, de répondre à ses provocations et me contentai de le fixer. Mes yeux parlaient pour moi; je le haïssais, il me dégoûtait et mon seul souhait actuel était de le voir mort. Il rigola à gorge déployée et me repoussa plus loin d'un simple coup de pied. Intérieurement, une partie de moi jubilait; il était si grisé et ivre de satisfaction qu'il ne se doutait de rien. Dans quel monde un ennemi se rend sans essayer de se battre ? Et accepte de mourir ? Mais bon, tant mieux, il mordait encore plus à l'hameçon que ce que l'on aurait aimé. Je lançai un regard en arrière et croisai celui de Mytha, avec mon apparence. Il me regardait calmement, conscient de ce qu'il se passait et je me fis penser à le féliciter pour ce sang-froid quand tout sera fini. J'ai à peine le temps de détourner le regard de lui que je sens avec surprise une lame entrer en contact avec ma gorge.
Gorge tranchée, il tomba à terre, décapité.
Au même instant dans le château, la reine attrapa le message magique qui lui était destiné. Elle lu les quelques lignes en vitesse et son visage se déconfit quand elle comprit la situation. Depuis plusieurs jours, elle avait sous son toit un traître, le sorcier prétendant être du côté de son peuple pour mieux le poignarder dans son dos. Aussitôt qu'elle compris la nouvelle, elle appela son général et lui ordonna d'amener le sorcier à elle, sans bien sûr expliquer qu'elle était au courant.
Le sorcier arriva donc calmement devant elle, sa capuche couvrant toujours une partie de son visage. La reine, un grand sourire sur son visage se pencha vers lui et chuchota :
« Comment osez-vous mentir, me tromper de cette manière ? »
Il recula de quelques pas, son rictus s'agrandissant et répondit de manière charmée :
« Mais c'est que vous êtes bien plus intelligente que ce que l'on pourrait penser, ma reine ! Dommage, c'est bien tard.. Après avoir commis tant d'erreurs..
— Qu'est-ce que vous voulez dire ? S'exclama-t-elle, horrifiée et inquiète de ce qui aurait pu arriver à son peuple.
— Vous avez condamné les innocents, félicité les coupables. Vous m'avez laissé libre de mes actions bien trop longtemps... Rit-il.
— Emmenez le au cachot ! » Ordonna-t-elle à son général ainsi que ses soldats.
Ces derniers emmenèrent donc le sorcier au cachot, aux barrières magiques stoppant la magie en elle-même. Il se laissa faire, toujours en train de rire et laissa la reine perdue dans ses pensées; qu'avait-elle fait ? Sur quoi s'était-elle trompée ? Sur quoi l'avait-il trompé ? Elle ordonna à ses gardes personnels de la laisser, pour aller vérifier que les portes de la capitale restent fermées.
Assis sur la pierre froide, je réfléchissais à ce qu'il se passait dans ma tête. Mes mains étaient enchaînées aux barreaux de ma cellule dans ce cachot humide et sale. Aucune lumière du jour ne me parvenait et j'avais l'impression de devenir fou un peu plus chaque seconde.
« Ce n'était pas moi.. Murmurai-je; Je ne veux pas qu'il meure. Je veux qu'il vive. »
La porte des cachots s'ouvrit violemment et je priai intérieurement que ce soit pour qu'on vienne me sortir d'ici. Je savais que cet espoir était vain, car j'avais tenté d'assassiner le prince. Mais ce n'était pas moi. Je me voyais agir, mais je n'avais pas de contrôle sur ce qu'il se passait. C'est comme si j'étais devenu la marionnette de quelqu'un de mal intentionné qui voudrait la mort du prince. Mais même moi je ne pouvais savoir qui. Alors qui pourrait un jour me croire ? Sachant que je n'ai même pas une seule certitude. Je reconnut le général, qui marchait dans le couloir sombre, accompagné de deux de ses soldats. Ensemble, ils tenaient les deux bras de celui que je reconnut comme étant le sorcier. Le sorcier ? Que faisait-il là ? Un traître ? Ou s'était-il fait piéger de la même manière que moi ? C'est là que ce frisson me parcouru à nouveau. Froid, glacial même. Je compris alors que celui derrière tout ça, c'était bien lui. Que c'était lui, celui qui m'avait contrôlé, qui m'avait forcé à essayer de tuer le prince.
« Eh oui, c'était moi mon cher. Mais vois-tu, ils ont eu plus confiance en un vieil homme, sorcier sortant de nulle part qu'en celui qui était là depuis le début. Si ce n'est pas écœurant..
— Ça ne sert à rien. Tranchai-je en rigolant, amusé de sa tentative; Je ne leur en voudrais pas de m'avoir enfermé, alors que jusqu'alors je ne savais pas non plus qui avait fait ça. Je pensais comme tous que j'avais perdu la tête. Alors ne tentez même pas, vos paroles ne m'atteindront pas.»
Je secouai ma tête et, dépité, me laissai tomber en arrière sur le mur glacial de ma cellule.
Sa tête roula jusqu'aux pieds du roi et j'observai la scène de la place de mon véritable corps. Il y a une seconde et demie, j'étais à la place de ce cadavre au sol. Je dois féliciter mes réflexes, qui m'ont permis de me sauver la vie. Le monarque hurla la victoire et se leva précipitamment pour aller ramasser la tête du prince qu'il voyait au sol. Un sourire étira mon visage quand sa bouche se tût, qu'il tomba au sol, et qu'apparut derrière lui Mytha, un sourire carnassier aux lèvres. Dans la main du véritable prince se tenait une de ses dagues, pleine de sang de son ennemi, à présent mort au sol. Ne comprenant pas, tous les Bulbins observèrent avec surprise et horreur le prince devant eux, avant de détourner leur regard sur le cadavre décapité au sol. Ce n'était qu'un vulgaire soldat de leur rang, ayant servi d'illusion aux yeux de tous. Je me levai devant tout le monde et aucun soldat Bulbin n'osa bouger, maintenant que leur roi était mort. J'attrapai la manche de Mytha et le félicitai pour l'action qu'il venait de faire. Il avait enfin tué le roi, et vengé son peuple ainsi que ses parents. Il acquiesça en silence, avalant tout juste qu'il venait de tuer pour la première fois et j'envoyai un deuxième message magique afin de prévenir de notre victoire.
